Mais pour la , je crois, première fois de ma vie, mon estomac se retourne en entendant quelqu'un parler. Ses propos me sont indigestes.. physiquement... Parce qu'ils sont la norme ici.
... Aucuns bruits autour de moi, tout est calme, mes oreilles bourdonnent, ça hurle même. Le vacarme du silence... Je comprends que cet homme n'est pas un ignoble connard quand il me dit sincèrement que "le problème, c'est les arabes", il est juste comme tout le monde.. Ici quasiment tout le monde pense ça !!!...
Je voudrais me réveiller.
Il a arrêté sa voiture sur le bord de la route, à Jerusalem, alors que je marchais vers un point de stop. Il m'a offert l'hospitalité, me disant que, vu les heures de routes devant moi, mieux vaut s'y prendre le matin. Pas faux. Alors je grimpe, on discute. Il est "cool", ouvert sur le monde, artiste orfèvre depuis 30 ans, joue du djmbé, voyageait en stop quand il était plus jeune.. Les premières questions arrivent et en quelques minutes il me faut rentrer dans mon mensonge de vacances en Israel, ce que j'y ai fait, ce que j'aime dans ce pays, ect.. Je me dis que c'est un bon entraînement pour passer la frontière. Quelques mots d'arabe m'échappent, on en rigole, (ouf !) il me dit que lui aussi en connaît un peu, " quand j'étais petit mon père faisait travailler des arabes sur ses chantiers". Mon visage se crispe, je ne dis rien, regarde par la fenêtre. Là, devant moi, se dessine l'autre visage de cette ville, propre, pleine de jardins publiques, de rues commerçantes... Avant que j'ai le temps de m'en rendre compte je suis propulsée en occident, j'ai sautée dans le grand bain a la découverte de ce qu'est "Israel"... Le choc est frontal...
Pourtant j'ai juste passé le mur..
[je suis comme les personnages de The Village ou The truman show lorsqu'ils découvrent "l'autre cote"]
Fin de soirée, on raccompagne quelqu'un à "Gilot", j'ai l'impression d'avoir déjà entendu ce nom, mais où? Pourtant je ne connais rien de ce cote ci.. C'est étrange la route est la même que pour aller au check point de Bethlehem... Et puis l'architecture, la vue au loin, d'un coup tout s'éclaire : je connais Gilot très bien, j'ai pu l'avoir en ligne d'horizon pendant 3 mois .... Gilot c'est la colonie énorme qu'on voit en face de Bethlehem ...
Combien de fois me suis je dis "si ça tombe ils ne se rendent pas compte?".. et bien oui, les gens ne savent même pas que c'est une colonie ! Ils sont justes venus vivre là parce que c'est neuf et pas cher, ce sont juste les nouveaux quartiers.. L'état offre des aides pour favoriser l'accès a la propriété des jeunes..
"Les lumières au loin? Quelques villages arabes qui restent mais ne t'inquiète pas ils ne peuvent pas approcher"... Quelque part dans ces petits points brillant : Deishe
Acte2-
Le paysage défile....
Le front collé a la vitre du car climatisé, j'admire ... la mer...
On la longe depuis une heure peut être, à droite la montagne se dresse a pic, belle, sur la rive d'en face idem. Seule cette langue d'eau turquoise au milieu du désert.
Je me cache dans mon pull pour pleurer, je ne veux pas qu'on me vois.
Où sommes nous ? Sur quelle planète?
Je regarde les passagers autour de moi, la réponse s'affiche: nous sommes dans l'autre monde, dans la bulle israélienne.
Le tracé de la route évite soigneusement tout panoramas de villes, villages ou simplement trace de vie palestinienne. La Palestine est comme gommée du paysage, oubliée. Tout parait désertique. Ici une station service israélienne entourée de palmiers telle une oasis miraculeuse, là une usine, plus loin une base militaire, les panneaux indiquent les colonies..
Nous faisons route vers le sud, "le ciel est bleu , la mer est belle, les gens sont heureux sous le soleil". Tout le monde est pressé d'arriver, je suis désespérée ....
Pendant la pause j'entends du russe, de l'espagnol, du français, de l'hébreu, c'est le grand melting pot... j'entre dans la station service, un café vaut 4 sandwishs falafels a Deishe...
les larmes reviennent, je me cache encore...
Plusieurs fois depuis hier j'ai des flash, d'un coup la Palestine me manque, mais je suis en Palestine...
Ça me brûle a l'intérieur, cette réalité d'apartheid. Je pense a autre choses, à ma route qui continue [...] Je rouvre les yeux, le car est toujours là, horreur..
Impression d'être dans de la science fiction, ce n'est pas possible, ça n'existe pas, nous ne sommes pas en train de rouler comme se de rien était sur cette terre volée alors que mes amis vivent dans un camps de réfugiés. Autour de moi tout le monde s'en fout, a hâte d'arriver à destination, il n'y a pas de problème pas de Palestine...
Vous connaissez ça ? Quand la vérité est si insoutenable qu'elle donne envie de vomir, qu'on ne veut pas la croire..
Je voudrais avoir quelqu'un avec qui en parler mais ceux qui m'entourent ne voient même pas ce que peuvent être des Palestinien, il n'y a que des arabes et ce mot leur fait peur.. C'est l'indifférence générale alors que mes amis attendent, parlent, rêvent du "jour où".
Le jour où ils iront a Jerusalem pour la première fois, celui où leur frère sortira de prison, le jour où il n'y aura plus de zone C, le jour où ils contrôleront leurs frontière et pourront décider eux même de la durée des visas des étrangers, le jour où eux aussi pourront voyager, celui où ils n'auront plus peur des soldats la nuit, celui où ils pourront de nouveau exploiter l'eau et rendre a la vallée du Jourdain sa luxuriance légendaire, le jour où nous feront tomber ce mur...
Ici ce jour n'est même pas un cauchemar, il n'existe juste pas.
Personne ne s'imagine une seconde revenir en arrière..
Acte 3-
Il est 18h54, il fait 19°
Les jeunes filles en mini short sont parties se chercher un pull pendant qu'ici et là on enlève les matelas des transats.. A ma droite s'élève le
SHOPPING CENTER avec son enseigne en grosse lettres lumineuses. Dans mon dos la, longue, promenade et les hôtels "face mer" en arrière plan. Des centaines de bars, boutiques de souvenirs, vendeurs de glaces, restaurants, magasins de grandes marques,stand d'accessoires hippies, ect, se succèdent sur au moins deux kilomètres...
Nous sommes a Cannes, Nice, Biarritz...
Les jeunes se baladent en bandes et se draguent sur la croisette, ça se questionne sur tel bracelet brésilien, tel collier a plume ou telle lunettes de soleil..
Eilat,
la station balnéaire au bord de la mer rouge.
Je me suis assise au bord de l'eau pour écrire plutôt que d'hurler..
La Palestine, ma vie là bas, les gens que j'y ai rencontré, tout me manque... et pourtant.. j'y suis toujours.
La Palestine est là quelque part.. partout sous ce béton et ces hôtels de luxes, dans les milliers d'années d'histoires qui résonnent ici, dans ces pierres, dans les centaines de générations qui ce sont succédés sur ces rives, dans les reflets argentés du soleil qui se couche sur la mer ce soir..
De l'autre coté de l'eau, les lumières d'une ville Jordanienne s'allument, quelque part vers la rive un mat très haut porte un drapeau immense.. celui de la Palestine
Et dire que certains m'ont trouvé "bien du courage" d'aller à Deishe, on s'est enquéri de savoir si le "climat politique" n'était pas trop pesant... Mes amis ce ne fut qu'un doux rêve comparé à ce qu'endurent mes nerfs et mon coeur ces deux derniers jours..
J'ai tant reçu là bas.. ici l'individu est roi..
Deux jours cauchemardesques, pourtant je suis passée du "bon coté", les rues sont bordées de palmiers, les taxis ont des conteurs, tout le monde se sape comme il lui plaît, ça sent l'air de la mer et de la liberté.
C'est l'Europe, viens cluber avec nous ce soir... " Enjoy" me répète t-on partout...
Enjoy Valou,
oublie
car de ce cote ci, regarde, tout le monde s'en tape de tes histoires......
Pas un jour depuis trois mois sans que je n'entende parler de politique ou "d'Israel". Pas un journal télévisé sans évoquer la "situation", l'armée, les nouvelles attaques de colons, les nouveaux vols de terre.. Toute une population qui voit sa terre, ses droits, sa liberté diminuer en direct live. Qui s'en arrange pour certains, qui continue d'y croire et d'espérer pour la plupart..
Et ici, autour de moi sur la plage, c'est comme si ça n'existait pas... Je n'ai pas entendue une seule fois le mot Palestine depuis mon départ...
Je l'écris honnêtement, je ne pensais pas qu'il serait si dur d'être témoin de tout ça..
Acte 4-
En attente de visas
Vraiment ici c'est le paradis, l'été toute l'année, tout ce que l'on peut désirer a porter de main.
Quelques femmes, cheveux au vent et tongs aux pieds, promènent une poussette en fumant une blonde. Une voiture de sport passe et klaxonne un ami qui lui répond par de grands signes en criant "Hi !!".
C'est la fête..
"Whou! Le bonheur est partout
ça dégouline, c'est fou
ça va pas être facile de trouver son style
Allez.."
Première démocratie capitalisme du monde, finalement c'est assez vrai, si tu passe le casting d'entrée...
Il n'est pas midi mais déjà le soleil tape fort. Je me réfugie dans la poste, grand hall climatisé. Un homme, la cinquantaine, m'aborde et me drague assez directement en français. Je regarde autour de moi me disant que quelqu'un va le reprendre , on ne se connaît pas et je pourrais être sa fille. Personne ne nous prête la moindre attention...
C'est le cinquième qui fait ça en 3 jours, je ne comprends pas pourquoi, je suis perdue, ça me dérange totalement. Non seulement parce que je n'ai pas envie d'avoir a repousser leurs avances mais surtout parce qu'ils ne semblent jamais entendre la distance que je pose.
Alors c'est ça la liberté?
On fait ce qu'on veut, chacun sa geule ... ?
Il me dit de venir le visiter au café qu'il tiens sur la plage, ce a quoi je répond que je quitte "malheureusement" Israel cet après midi pour l'Egypte.
Et là, il s'affole :
" Mon Dieu non ! C'est dangereux, ne vas pas en Egypte, non!"
Je lui demande pourquoi
"Ils sont fanatiques là bas ! T'as pas vu? Les femmes avec tous ces bazars sur la tête... Quand ils vont voir une créature comme toi... Non, non, c'est vraiment une mauvaise idée... Les arabes n'ont pas de coeur, tu sais ça? C'est vide là ( il me montre sa poitrine)... Non, vraiment c'est dommage.. quand ils vont te voir ils vont vouloir te voler"
finit il en regardant fixement mes seins.
...j'ai littéralement envie de tuer ce type sur place, là, sans autre motif.. Mais ici ce n'est même pas du racisme, au contraire, c'est une sorte de bienveillance, il me met en garde... Alors je prend le sourire le plus sympa que j'ai en stock et lui répond : "Et ben! J'espère pas, mais je serais prudente promis"
Au moment de m'en aller il ajoute
" juste une règle : ne leur fait jamais confiance, ils ne savent pas ce que c'est"
Je le remercie et m'en vais.
300 mètres plus loin je m'assoie.. je n'en plus... vraiment...
Quelque part de l'autre cote de l'eau, le drapeau flotte toujours.
Je me relève et marche vers l'ambassade pour chercher mon visa. Enfin, je marche vers la sortie..
Dernier acte-
Je file a la frontière en bus avec mon énorme sac, passeport tamponné en poche.
Quelques centaines de mètres avant il y a comme un bouchon, les voitures ont l'air d'attendre. Le chauffeur dit "Ah... c'est fermé.." Ah non !! Je saute du bus et trouve d'autre jeunes baroudeurs qui m'apprennent que l'armée est en train de désamorcer une bombe et ont donc bloqué le passage.
Manquait plus que ça!
Un petit robot est envoyer risquer sa vie de cyborg pour sauver la situation.. Pendant ce temps l'un des jeunes me demande à quelle heure est mon bus.... Mon bus ? Quel bus? " ben le bus de l'autre coté, tiens!" Merde!!! J'ai totalement oublié de me préoccuper de ça !! C'est sur ça va paraître louche s'ils me demandent ou je vais et que je n'ai aucune infos... Je m'empresse de leur emprunter un guide et de retenir le nom d'un hôtel puis demande l'air de rien à celui qui va au Caire si je peux le suivre un peu, puisqu'il connaît, pour les bus "comme ça je ne me perdrais pas"...on est toujours moins suspect de faire du tourisme à deux..
1/2H plus tard le robot est de retour et on apprend que c'est au moins deux fois par semaine qu'une valise se transforme en prétendue dangereuse bombe mais qu'en fait il n'y a jamais rien..
Voila, ça y est, le grand moment. J'angoisse à mort. Je m'efforce de faire ami/ami avec les autres, de faire des blagues dans la queue pour présenter son passeport. Je veux avoir l'air détendue mais lorsque j'arrive au guichet mon état de nervosité bat les records.. La douanière met beaucoup de temps a contrôler mon passeport puis finalement me demande où est mon visas d'entrée. Je lui indique la page, elle tamponne et je m'en vais vers l'étape suivante...100 mètres plus tard et un petit portillon de passé je vois écrit en arabe et en anglais
WELCOME IN EGYPTE... Je me retourne vers mon nouveau camarade incrédule " Israel c'est fini?!", "ben oui, on a passé la frontière là"
Whaouw.. j'aurais hurlé de joie si je n'avais pas eu si peur qu'ils changent d'avis et m'emmènent passer 10H d'interrogatoire pour expliquer ce que j'ai fait pendant ces trois derniers mois..
D'un coup tout m'a paru fantastique. Tout était
formidable... Jusqu'à la grève des bus censés nous emmener au Caire, mes compagnons étaient scandalisés, horrifiés, moi je trouvais tout génial. J'ai lance fièrement " Malhaba" au premier Egyptien venu et mon co-passeur de frontière m'a dévisagé " mais... tu parle arabe.. ?"... Ah ah ah ! Génial !
Le vent du Sinai me souffle dans les cheveux. C'est fini...