jeudi 21 juin 2012

rentrer


"On ne pars pas, je sais...
On ne reviens pas non plus..."
                                                                               Nina

Nantes
juin
pluie

Comment retenir les mots si je n'écrit pas une ligne?
Quelque chose retient ma main. La pointe se pose sur le papier, y laisse un peu d'encre... Je regarde la tâche s'agrandir..
Que dire?
Que je suis rentrée à Nantes, que tout va bien ?
Que je prends le temps d’atterrir en voyant des ami-e-s?
Ce n'est pas seulement banal, c'est faux...

Je flotte, à la rencontre de mes espoirs, de mes doutes.

J'ai passée des heures, le nez collé à la vitre du tram ou scotché sur mes voisins.
J'ai cherché tout ce qui me différenciait d'eux.
Y a t-il  un "nous" dans ces moment où la terre tangue?
J'ai cherché les points de ruptures pour évaluer la distance.
Revenir à Nantes c'est revenir à mon point de départ mais à l'évidence tout est différent pour moi.

J'ai marché longtemps pour écouter le bruit de mes chaussures sur le bitume mouillé.
Où est la terre ici ?
Et il y a ces arbres qui surgissent de l’asphalte, sont ils encore en "vie" ?

J'ai cherché chaque instants les rayons du soleil parce que j'en avait faim.
J'ai trouvé le froid d'un contrôle de police, puis d'un deuxième.
L’humiliation, la violence de notre état sécurisé.
Welcome

Point de retour. Mes premiers maux sur ces tables.
Un bar.
Larmes qui s'écrasent.
Mots inutiles
Et ton regard qui me fuit...
Ce cœur qui s'échappe. Soupir ...
Au jour du commencement, à la base de la fracture, dans la plus noire de mes chambres,
Il y avait ce carnet.
Et me voit-là, à nouveau,
Je pers la chronologie
Et mesure
La quantité d’oxygène en plus.

Le changement.
La plus belle des marches finalement.
La plus ardue aussi.

Que me reste t'il de ma solitude vagabonde
Ces pages que j'ai noircies
Des poèmes que je nous ai écrit...

J'ai quitté Ouarzazat  un soir plein d'étoiles et de vent chaud, pressée. Je fis halte à Tanger pour remplir mes poches et faire durer le plaisir en chemin : quelques dattes, des cerises, un peu d'huile d'olive et des épices, de quoi survivre au moins.
Un bateau, si facile à prendre quand on est Français de papiers, pour me faire changer de continent. Comme pour me prouver que le voyage n'était pas fini, j'ai rencontré foule d'âmes ouvertes et de regards sympathiques.
J'ai traversé ce bras de mer en me disant qu'il était plus chargé d'histoire que nos bouquins d'école, et je regardais toute cette eau, ces kilomètres que nous, que j'ai , qu'ils ont appris à considérer comme la frontière entre le "chez nous" et le "là bas".
L' Espagne pour cette fois se résuma à Granada, la belle, la sublime. Cette  ville n'a rien perdue du charme dont je me souvenais, je la trouve envoutante, musicale, peut être bien parce qu'elle aussi est un peu arabe...
J’eus beau faire des efforts, le premier jour impossible d'être dans le bon sens : j'étais choqué des courtes tenus des jeunes femmes dans la rue, terrorisée quand un homme voulu me faire la bise, incapable de m'exprimer dans une seule langue ou d'évaluer le prix des choses en euro..

Peut être m'aurait il fallu plus de temps là bas pour que la France me paraisse moins oppressante, je ne sais pas... En tous cas il fut bien dur pour moi de revenir ici, et je ne parle pas du stop, dernier espace où la différence est encore une richesse et la rencontre possible.
Il fait froid sur le continent de la vieille Europe. Un voile de peur chaque fois que j'évoque les endroits où je suis passée. Dans la rue, le regard des gens évite celui des autre par une savante gymnastique de l'indifférence, et quand il s'attarde et qu'il y a rencontre , sourire, je m’emballe dans mes souvenirs pleins de soleil et balance mon enthousiasme comme Polok sa peinture.
Mais bien vite on s'inquiète, me questionne perplexe, me parle de danger, de ce que je porte entre les jambes, d'islam...
Je n'ai pas envie de m'agacer, ni de raconter que le monde est tout rose avec des petites fleurs blanches... Bien sûr tout le monde n'est pas "gentil" "là bas"... mais je n'ai jamais eu peur qu'on me laisse dormir à la rue. Ici oui.
Certe en France point de vendredi saint, de minaret ou de femmes voilées...mais point non plus d'enfants dans les rues, de petits vieux avec qui s'assoir devant les cafés , de chiens qui jouent ou de vendeuses de sandwich avec qui discuter.... Si tu as un problème, il me semble que tu l'a seul. Je ne trouve personne à rencontrer, personne qui puisse me raconter une histoire, personne pour me présenter sa famille... et du coup je ne sais plus bien ce que je fais là
 .. Comment vous expliquez, vous faire   sentir   que je ne veux pas me faire la "bonne copine" des opprimés,  mais que je ressens intrinsèquement nos discriminations, nos rejets comme une violence ... ?
Je ne veux pas de cette marginalité dont on étiquette mon mode de vie, mais je ne peux pas suivre le modèle social proposé. Il ne me nourri pas, je le trouve humainement trop pauvre, trop égoïste, et surtout il n'est fait que pour une élite occidentale.

Durant mes derniers kilomètres avant Nantes je reparlais de la Palestine. Je lâchais le flot de ma colère aux oreilles de mes auto-preneur-en-stop intéressés de connaître un peu plus les injustice faites aux Palestiniens.
J'étais triste de sentir ici aussi ce mur, cet aveuglement, mais si je pouvais le partager avec eux c'est que l'enclos n'est pas étanche.
Mon amour pour cette terre volée, leur empathie, les fraises qu'ils m'offrirent, ont ramenés à mon souvenir cette réalité : ici plus qu’ailleurs il y a à faire des ponts, à se battre pour libérer du "temps de cerveau disponible", pour que le "nous" soit plus important que la date des soldes, pour ne pas se laisser foutre dans le formol, pour que le bonheur ne soit pas une pub, pour qu'une personne différente ne soit pas vu comme un poid... et pour mille autre raisons .... C'est en fait ici que commence la bataille.
Pour l'instant je suis encore trop occupée à regarder d'où j'arrive et ce qui m'entoure, mais je ne compte pas laisser mourir cette révolte qui souffle en moi, plutôt la transformer, et pour cela il me faut apprendre encore.. Si je ne trouve pas ma place ici je sais que je ne suis pas la seule.
 Alors tout est possible

Un autre voyage commence
Celui de ce blog touche à sa fin.
Je sens ma tristesse à l'idée d’arrêter d'écrire ici. C'est un petit bout de moi qui meure.
Tous mes mots ici comme autant de besoin de partage. Une interface égoïste mais aussi l'un de ces fameux pont pour se rencontrer.
Comment savoir si cette aventure fut la mienne ou la notre?
Certitude : je n'aurais pas fait tout ce chemin seule.
...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire