mardi 15 mai 2012

"Donne moi ta main camarade, toi qui viens d'un pays où les hommes sont beaux"

Je suis dans un feuilleton
Tout y est
Le décors nous emmène de la plage au cœur des rues de la capitale, en passant par les bidonvilles et les sites à touristes...
Rien ne manque : argent, sexe, drogue, religion, secrets et trahisons...
La température est bonne
La musique donne le rythme
Les personnages sont atypiques et attachants
...
Et je me laisse prendre au jeu
...

Ce scénar de vies mêlée me dresse un portrait en arlequin de ce qui me reste encore et toujours comme une énigme : Dakar

J'ai regardé cette ville dans le fond des yeux
Je l'ai vu décoiffée au réveil
Bruyante et excitée les jours de fête
Maquillée et sapée pour séduire
Triste et pauvre,
Riche et célèbre
Puis j'ai compris,
L'évidence
Puis j'ai compris,
Que je n'avais rien vu
... 

Ville tentaculaire où tout se croise
Petit village de pécheurs, ensoleillé
Fourmilière entourée d'eau
Petite fille courant derrière les géants d'Europe
C'est le trône des puissants
Impossible à n'habiller que d'une seule couleur
Fascinante
...


Il y a dans cette saga des personnes que rien ne rapproche si ce n'est  ma rencontre à "nous tous" ..
Medley surprenant

Les personnages principaux décorent mon quotidien et ont transformés les "quelques jours"  que je pensais passer ici en un mois, mille découvertes, des amis, un appart, un permis de conduire, une demande en mariage, des milliers d'heures de bus, des galères de tunes grosses comme un éléphant et des rêves beaux comme le ciel....

Patchwork


S
est un ancien enfant des rue : un talibé comme on dit.
Lorsqu'il était petit il fut celui des fils que son père envoya en Mauritanie pour "connaitre" le coran afin d'honorer la "promesse qu'il avait fait à Dieu". Pendant toute son enfance il du mendier sa nourriture dans la rue, muni d'une boite de conserve, et étudier l'islam chez des marabouts qui pour certains ne leur enseignait que les coups.
Un enfant "sacrifié" qui a appris la vie sans parents, sans caresses, ni chaussures mais qui n'en a retenu que l'amour de l'autre, l'amour de l'Homme. Un exploit de la vie.
C'est un homme magnifique.
Droit, pur, il n'en veut pas à ses parents..."plus" me dit il... Dieu l'a voulu ainsi..
Il me fait aimer sa religion et m'explique durant d' interminables soirées comment plus qu'une croyance elle porte toute une philosophie, une façon de voir le monde et les gens. Il me raconte que prier c'est se retrouver et que le paradis c'est de vivre...
Aujourd'hui c'est un écrivain de l'islam, il est lu, écouté et respecté pour ses paroles sages.  Mais derrière l'homme de foi il y a une passion, un rêve, un espoir : le foot.
Le ballon rond lui a volé son cœur et fait troquer la djellaba pour le jogging. S déborde de talent et compte bien s'en servir pour faire un croche patte au destin. Ses pieds parlent aussi bien que sa bouche, il le sait du coup c'est foot  le matin, le midi , le soir, la nuit même s'il le faut, entre deux prières...
Parfois quand on se prends à rêver tous les deux, nous parlons du jour où il jouera dans un grand club d'Europe et viendra me voir , on imagine ensemble ce que pourrait  signifier "avoir de l'argent"...
 Être riche ! on rigole... alors, le rire et l'espoir se font armes pour tenir debout sur le fantôme de ces jours où il eu faim...
S d'un seul geste enterre la victime et garde l'humilité, méprise l'argent et poursuit la lumière.
Juste quelqu'un de bien

 P
 est un peu ...flou..C'est quelqu'un que je ne comprends pas vraiment, même après plus d'un mois à le côtoyer ..
Ce qui est sûr c'est que je ne serais jamais arrivé ici sans lui.
Les premiers temps il fut mon ombre, mon guide, mon garde du corps, se battant avec ses démons d'une main et m'indiquant la route de l'autre.
A grand coup de " Yessaye !!" toutes les 10 minutes, il a camouflé pour moi l'homme tourmenté et les problèmes d'argent pour m'accueillir comme une sœur et accompagner mes premiers pas dans le sable.
Actuellement technicien du son il rêve de devenir ingénieur ,et prononce d’ailleur ce mot les yeux brillant comme un gamin . Il rêve qu'avec le beau diplôme tout ira mieux.
P est père de famille mais, débordé par cette vie qui se précipite sans l'attendre, il ne parvient pas à assumer les siens...
Je pense qu'il est un de ces êtres humains qui se sont perdus eux-même.
Dans ce bas monde où il faut courir et se battre, on nous brandit sans cesse l'image de ceux qui réussissent avec aisance, mais certains ne peuvent pas, plus.            Lui s'est noyé.
Le naufrage est général et je me sens impuissante..
Les mots ne guérissent plus toutes les blessures et parfois il est plus facile de se fondre dans le whisky que de rentrer affronter le regard de ta femme et tes enfants qui n'ont rien mangé.
P n'est pas mauvais, au contraire et s'il le pouvait il aiderait la terre entière.. sa lâcheté est tout ce que le système lui a laissé pour survivre..
 Mais la force de la famille à l'Africaine est là . La "famille élastique" ne le lâchera -heureusement- pas encore... même dans l'antre de la solitude que sont les capitales, la culture de la solidarité survie encore.

T
Toute une histoire...
T m'a ramené "chez moi".
Moi qui ne savais même pas que je venais de quelque part!
T est un homme "bon", un humain en vrai, une rencontre incroyable qui m'a changé la vie.
d"extérieur il suffit de quelques secondes pour l'étiqueter gentiment : les dreads, le vert/jaune/rouge des bracelets, les "cool man" à répétitions : facile,T est un rasta. Et pourtant...
Comment le limiter à ce mot?
C'est quoi être rasta? Fumer toute la journée en écoutant Bob? Mmmhh
Oui ensemble on écoute du reggae... et c'est bien... oui on passe des après midi entières boire du thé "à la sénégalaise"... mais prendre le temps est un art qui s’entretient !!
Lorsqu'il était encore jeune son père est mort faisant de lui le responsable de la famille puisqu'il était l’aîné des fils. Même si depuis sa mère s'est remarié "les moyens manquent"... Une dizaine de bouches a nourrir chaque jours, une maman fatiguée, alors les rêves, la danse... on verra plus tard
T m'a montré que derrière le décors idyllique des palmiers au bord de l'eau il y a des petits frères qui ont faim... Et quand il n'y a rien à manger il n'y a pas de place pour les ambitions d'un jeune danseur
Pas le choix : il faut partir en mer 10 ou 12 jours de suite sur une pirogue, dormir par tranche de 2h pour ramener.. des miettes...
Avec lui j’apprends à écouter, à dépasser les plus enfouis de tous mes clichés, à reconnaître que "non je ne sais pas ce que c'est", que de vivre dans la misère. Que "oui" je suis bien née...
Nul ne sert de jouer au pauvre.
Mais loin du portrait misérabiliste qu'on pourrait en dresser, T est "begué" (bonheur en wollof) . Il pose sur son monde un sourire doux et joyeux qui soigne les pires des maux. Je l'ai vu danser au beau milieu de la rue pour faire rire les grands-mères, menacer avec humour quiconque toucherait à ses petits poussins, manger et discuter avec un enfant de 4 ans comme s'il était son égal et s'extasier devant mes cendriers en canettes.. T m'offre sa légèreté et m'incite chaque instant à me réjouir de choses simples.
Trop "vrai" pour ce monde à 100 a l'heure, T est dans Dakar comme un poisson hors de l'eau. La Casamance est sa terre, et moi qui ai bien du mal à comprendre ces histoires d'appartenance, je suis allée découvrir que là bas on pouvait se sentir "chez soi". Là bas, bat le cœur du monde.
Un soir de pleine lune j'ai sentie chacune de mes racines pousser sous mes pieds et s'enfoncer pour s'enrouler avec celles des arbres ..
Je suis née ici.
Chez T personne ne m'appelle "Toubab" et quand d'aventure ça arrive je l'entend dire "Ah non, elle s'appelle Valou" , et à perdre ce statut j'ai gagné quelque chose de précieux, quelque chose d'égalité..

N
Mon "moniteur d'auto école"... la bonne blague !
N est bien plus que ça mais ce qui est vrai c'est que grâce à lui j'ai mon permis!!
Il me répète que j'ai une bonne étoile et sincèrement je commence à le croire .
N'étant lui non plus "pas d'ici", il m'a en quelque sorte prise par la main pour me faire découvrir "l'ici"...
Des petites criques de pécheurs à deux pas du centre ville, au surprenant et célèbre Lac rose, en passant par le stade de rugby, j'ai enfin pu découvrir autre chose que me perdre dans un sens puis dans l'autre au milieu de la foule de Dakar.
Parcours surprenant que le sien.
"Pas d'ici " parce que son enfance, N, c'est en Normandie qu'il l'a passée...
Pas exactement les mêmes plages..
Alors que gamin  il vécu près d'un château passant les week-end à pédaler dans la forêt, maintenant il apprends patiemment à ses élèves comment survivre dans la jungle de la circulation Dakaroise. N m'a offert du temps. Celui de la découverte, celui de poser des question, celui de rire ensemble...
N  va à la fac et travail en même temps pour aider son père; il sort  en boîte le samedi soir et s'occupe la semaine de sa petite fille; en fait il mène la "vraie vie des jeunes d'ici" et le côtoyer m'apprend bien des choses, alors j'écoute avec attention les analyses de ce Sénégalais de France.
N mène la vie que je ne mènerais jamais, et bien que tout nous oppose dans nos parcours, j'ai souvent l'impression que nous sommes les mêmes, parce qu'il me comprend.


G
est un ancien guide touristique reconverti aujourd'hui en agent immobilier (l'un dans l'autre c'est utile) avec qui j'écoule quelques bières. "On ne vit qu'une fois! " répète t il alors je le suis quand il m'entraîne, parce qu'au fond le temps d'être sérieux arrivera bien assez vite. George est libéré des clichés sur "les blancs", il ne m'épargne pas, me regarde en face et je découvre en lui un ami sincère.
Pas seulement bon vivant, il est aussi de précieux conseils et se démène pour m'aider s'il le peut, mais je sens bien mes "merci" inutiles... la bonté n'attend pas de reconnaissance



 Et puis il y a les personnages secondaires, qui donnent la réplique, qui bien souvent m'aident à décoder les uns, à sourire aux autres.. Il y a tous ces inconnus d'hier qui font du sens aujourd'hui

Il y a cette mère qui ne comprend plus son mari et qui est fatiguée. Fatiguée de se sentir seule, fatiguée d'être pauvre, fatiguée des pleurs des enfants. Cette mère qui ne se plaint pas mais que je retrouve cachée dans la cuisine, seul espace qu'on lui laisse.. pour pleurer..


Il y a M , très jeune, mère célibataire, fille de luxe, pute au bras des riches à l'humour décapant.
Elle fait son travail comme une femme d'affaire, ambitieuse, gérant ses clients comme des poulets et se foutant d'eux tant ils sont faibles devant son corps parfait.
" Je suis une maman star et je ne me déplace pas pour rien" me dit elle en présentation. Elle me fait rire au larmes en distillant ses conseils "pour que ton homme n'aille jamais voir un autre toutou que le tien" avec des produits miracles "kisentebon", entre deux ragots d'adolescentes et un coup de fil où elle répond machinalement "je t'aime " à un client acro.


Il y a ces expat Hongrois complètement étranges, carburant à la bière, qui paraissent en permanence sur une autre planète. Ils ont sillonné le monde de l’Afghanistan au Mali et "d'Israël" en Inde, ils ne paraissent pourtant aimer franchement aucun endroit. A les voir on dirait un peu un Paris/Dakar permanent où seuls compte les paysages et les histoires de bagnoles.. Ces mystérieux businessman n'ont visiblement pas grand chose à foutre du monde qui les entoure si ce n'est le fric qu'il peut rapporter, et on peut dire que "le monde" le leur rend bien à voir ainsi leur solitude au bras des jolies filles qu'ils ont payés...

Il y a la mama du rez de chaussée qui clame que je suis sa fille et qui m'invite à manger les jours où je n'ai plus rien. Prise pour juge et pour témoin sur tout, elle voit défiler dans sa chambre les uns et les autres, venus raconter leurs version de l'embrouille en court. Pleine de bienveillance, elle m'attrape par la main quelques fois, quand la tempête s'annonce, et me colle devant la télé même si je n'y comprend rien.

La liste est longue.
Et il y en a cent autres encore, qui, touches après touches, m’apprennent cette ville multicolore. Le Sénégal
est, de mon voyage, la rencontre à laquelle je ne m'attendais pas.. mais la surprise est bonne, et comme on dit toujours dans ces cas là "je reviendrais"

3 commentaires:

  1. Ils sont beaux tous ces gens sous ta plume. Merci pour ce partage. Tu as du passer des heures devant l'ordinateur !
    Merci aussi de me remettre en tête cette super chanson de Nougaro. Du coup je te chante ce qui suit en pensant à nos retrouvailles prochaines.
    "Bientôt, bientôt
    On pourra se parler, camarade
    Bientôt, bientôt
    On pourra s'embrasser, camarade
    Bientôt, bientôt
    Les oiseaux, les jardins, les cascades
    Bientôt, bientôt
    Le soleil dansera, camarade
    Bientôt, bientôt
    Je t'attends, je t'attends, camarade"

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  2. Bonsoir ma petite chérie, je sais que tu te rapproches. Nous avons hâte de te revoir. Gros bisous. Mamie

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  3. coucou valou!
    je suis super contente de t'entendre parler de Dakar et de savoir que finalement tu t'y plais dans un sens! tu n'as pas voulu aller voir A. ? il est pas encore trop tard je pense pour lui passer un coup de fil, si et seulement si tu en as envie bien sur! =)
    ba benen yoon sama thioupalibonbon! ;) hihi.
    anaïs.

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